Les activités transactionnelles ont été au ralenti en raison de la hausse des taux d’intérêts, d’instabilités géopolitiques ainsi que des risques de récessions. Effectivement, de la première moitié de l’année 2022 à la même période en 2023, la valeur des transactions nord-américaines a diminué de 37%. Malgré ces circonstances, on observe d’importantes transactions telles que l’acquisition de Hess (HES) par Chevron (CVX), deux entreprises de tailles dans le secteur pétrolier. En effet, cette transaction apporterait à Chevron une opportunité en or pour la diversification de ses activités ainsi que pour sa performance à long terme. En contrepartie, cette acquisition soulève certaines préoccupations environnementales. Nous commencerons par présenter les entreprises et par détailler la transaction, puis nous examinerons ses répercussions tant sur le marché pétrolier que sur l'environnement.
Histoire des compagnies
Hessest une firme énergétique établie aux États-Unis, résultant de la fusion entre Hess Oil, Chemical Corporation et Amerada Petroleum en 1968. L'entreprise exerce des activités d'exploration et de production tant sur le territoire américain, particulièrement en Dakota du Nord, qu'à l'international, en Libye. Ses opérations maritimes s'étendent dans diverses régions, incluant le Golfe du Mexique aux États-Unis, le Canada, l'Amérique du Sud (avec des projets en Guyana et au Suriname), ainsi qu'en Asie du Sud-Est.
Chevron Corporation, initialement baptisée Standard Oil Company of California, occupe la position de deuxième plus grande entreprise pétrolière aux États-Unis en termes de revenus, juste derrière ExxonMobil (XOM). Avec son siège social en Californie, Chevron exerce ses activités dans plus de 180 pays et est impliquée dans tous les domaines de l'industrie pétrolière et gazière. Depuis 2020, à la suite du retrait d'ExxonMobil, Chevron est devenue la dernière représentante du secteur pétrolier et gazier au sein de l'indice Dow Jones Industrial Average (DJI).
Depuis plusieurs décennies, John Hess, qui occupe le poste de directeur général chez Hess, s'est joint à quelques autres leadeurs du secteur du schiste pour revendiquer haut et fort la nécessité de renforcer les ressources énergétiques nationales. L'acquisition de Hess représente une opportunité majeure pour Chevron, notamment en raison de l’implication de Hess, à hauteur de près d’un tiers, dans la découverte de 11 milliards de barils de pétrole et de gaz en offshore de la Guyana, s’étendant sur 6,6 millions d’acres. Le directeur général de Chevron a exprimé que cette transaction avec Hessserait bénéfique pour solidifier les résultats à long terme de son entreprise et pour diversifier encore plus son portefeuille d'activités. En effet, Hess, en collaboration avec ses associés Exxon et la société chinoise Cnooc (0883.HK), a réussi à augmenter la production pétrolière de Guyana de 0 en 2019 à 400 000 barils quotidiens. Les entreprises impliquées dans ce partenariat visent à atteindre une production de 1,2 million de barils par jour d'ici 2027, positionnant ce projet parmi les expansions pétrolières les plus rapides à l'échelle mondiale.
Contexte de la transaction
Dans le contexte de l’industrie pétrolière, on peut également percevoir une tendance quant à la migration des géants Américains vers l’Hémisphère Ouest. Les tensions géopolitiques grandissantes dans plusieurs régions du monde poussent ces géants du pétrole à se rapprocher de l’Amérique. En effet, les investissements à l’étranger représentent un risque grandissant dû aux conflits observés en Ukraine et au Moyen-Orient. Cette nouvelle acquisition offre à Chevron l’accès à deux nouvelles régions importantes ; celles-ci étant déjà familières avec l’extraction de pétrole et représentant moins de risques pour la compagnie. L’acquisition récente de Pioneer Natural Ressources (PXD) par Exxon Mobil va du même sens.
Les deux géants du pétrole ont peut-être involontairement envoyé un signal qui a touché la confiance de leurs investisseurs en utilisant leurs actions comme monnaie d'échange pour leurs transactions. Cela démontre qu'elles estiment que leurs actions sont pleinement valorisées. Les investisseurs craignent la volatilité de demande et de prix du pétrole. Beaucoup évitent toujours largement l'industrie pétrolière en raison des préoccupations liées à la contribution des entreprises au changement climatique.
Détails de la transaction
Avec Morgan Stanley (MS) représentant Chevron et avec Goldman Sachs (GS) représentant Hess, les deux compagnies se sont entendues sur un prix d’achat s’élevant 53 milliards de dollars américains. La valeur de l’entreprise est estimée à 60 milliards incluant dettes et trésorerie. La transaction sera financée à 100% par des actions ordinaires avec Chevron émettant plus de 317 millions d’actions. L’offre représente 1,025 action de Chevron pour chacune des actions de Hess plaçant le prix aux alentours de 171$ lors de l’annonce. Pour Hess corp, cette acquisition représente une prime d’environ 10% sur la moyenne 20 jours du prix de l’action préannonce. Avant l’annonce de la transaction, le ratio cours/bénéfice s’élevait à 11x pour Chevron tandis que celui de Hess corporation était près de 31x.
Même si le ratio cours/bénéfices de Hess est supérieur à celui de Chevron, la transaction amènera une croissance pour l’action de Chevron. Notamment, puisque la multinationale prévoit vendre entre 10 et 15 milliards en actifs post-transaction grâce à plusieurs synergies. À la suite de l’acquisition, John Hess, le directeur général et chef de l’exploitation de Hess Corporation se joindra au conseil d’administration de Chevron.
Impact sur le marché pétrolier
Les récentes découvertes de sources de pétrole en Guyana, le Stabroek block et l’acquisition de Hess par Chevron devrait davantage concentrer les regards des entreprises les plus intégrées dans l’industrie du pétrole sur la Guyana.
En effet, face aux tensions actuelles entre Israël et la Palestine, l’Ukraine et la Russie et la diminution de l’offre dans les pays de l’OPEC comme l’Arabie Saoudite, les prix subissent de fortes pressions à la hausse ces derniers mois.
Dans le même sens, la Guyana a pris la décision de, pour le moment, se tenir à distance de l’OPEC, cartel international, afin de pouvoir extraire autant de pétrole qu’il le souhaite.
Les entreprises présentes en Guyana ont d’ailleurs une approche humaine, comme nous pouvons le voir au travers d’une phrase de Alistair Routledge, président de Guyana Exxon Mobil : « We feel our name and our brand is now tied to whether this turns out to be a success for the people of the country ».
Impact sur l’environnement
Ce n’est pas un secret, l'abondance de pétrole dans le plateau des Guyanes a depuis maintenant plusieurs années attisé la curiosité et créé quelques tensions. L'importance de cette ressource dans cette région a créé des désaccords notamment entre la Guyana et le Venezuela qui se querelle pour l’Esequibo, une zone à fort potentiel pétrolier. La Cour internationale de justice de La Haye devra se prononcer sur cette affaire le 14 novembre prochain.
Outre les conflits politiques que le pétrole entraîne, son exploitation soulève aussi quelques inquiétudes sur le plan environnemental. En effet, l'extraction du pétrole peut engendrer une série de conséquences néfastes pour la région côtière de la Guyana.
D'un côté, la menace de la pollution marine représente une réalité alarmante. Les dangers de marées noires, de fuites ou de déversements d'hydrocarbures pendant les opérations de forage et de transport du pétrole pourraient causer des dommages irréversibles aux écosystèmes marins, à la faune, à la flore, et aux communautés côtières (les communautés Wayana et Wayampi par exemple).
D'un autre côté, la mise en place d'infrastructures lourdes telles que les plates-formes de forage, les pipelines et les routes entraînerait la déforestation, la destruction des habitats naturels et la fragmentation des écosystèmes terrestres, perturbant ainsi l'équilibre écologique de la région.
De plus, l'exploitation pétrolière contribue de manière substantielle aux émissions de gaz à effet de serre, amplifiant le changement climatique et ses effets dévastateurs sur l'environnement. Ces émissions affectent non seulement la Guyane, mais également l'équilibre climatique mondial dans un contexte où tout le monde essaie d’agir en faveur de la transition énergétique.
Cette acquisition suscite donc des préoccupations quant à l'impact environnemental et politique de l'exploitation pétrolière la Guyana. La capacité des entreprises à dicter les conditions du partenariat suscite une grande inquiétude et soulève d’importantes questions sur la protection des intérêts nationaux de la Guyane. En effet, les entreprises pétrolières ont souvent agi de manière préjudiciable, compromettant la responsabilité environnementale des gouvernements. Cette forte influence de la part de Chevron souligne la nécessité d'accords solides pour garantir la protection de l'environnement et des intérêts locaux.
En dernier lieu, cette transaction réalise diverses synergies, mais porte également l’attention sur la richesse de la Guyana dans une période difficile pour l’offre du pétrole poussant les prix à la hausse. Effectivement, les derniers mois ont été marqués par certaines tensions géopolitiques, affectant l’offre de la Russie ainsi que le Moyen-Orient. En contraste avec cette transaction, on observe une forte croissance dans le secteur de l’énergie dans l’importance attribuée à la transition énergétique dans près de 27% des acquisitions. Ainsi, on s’attend à voir de plus en plus de transactions axées sur une transition vers des solutions à faibles émissions de carbone et d'autres solutions propres pour répondre aux nouvelles exigences du marché et de l’environnement.
L'équipe des Marchés des Capitaux - Banque d'investissement,
Marc-Eugène Senécal, Clara Labelle, Alexia Mateian, Josselin Granier, Romain Lenel,
Ismael El Kherchi