Matis Patenaude, Adel Benferhat, Olivier Rodier
La mer Rouge, reliant l’Europe à l’Asie par le canal de Suez au nord et le détroit de Bab Al-Mandab au sud, est une voie maritime importante pour le trafic mondial et surtout pour l’Europe, qui y transite 75 % de ses exportations. Elle est une zone sensible du Moyen-Orient qui souffre des tensions géopolitiques et des rivalités régionales qui peuvent mener à des conflits.
Depuis le 7 octobre 2023, la guerre entre Israël et le Hamas a fait exploser les tensions dans cette région du monde. En effet, les Houthis, un groupe de rebelles du Yémen, ont multiplié leurs attaques en visant premièrement Israël et ensuite des navires passant dans la mer Rouge. Le groupe affirme agir pour soutenir les Palestiniens de la Bande de Gaza. Ils sont aidés majoritairement par l’Iran qui est le seul pays ayant reconnu le groupe comme le gouvernement légitime du Yémen. Ce soutien iranien se traduit par de l’approvisionnement militaire et technologique, comme des drones et des missiles que les Houthis utiliseraient dans leurs attaques contre des navires « liés à Israël ».
En effet, ils auraient lancé plus de 27 attaques contre des navires commerciaux et militaires passant par la mer Rouge, ce qui contraint plusieurs compagnies maritimes à emprunter une autre route. Des conteneurs commerciaux tels que Maersk, Hapag-Llyod, CMA CGM et même des bateaux de croisières comme Carnival Corporation ont décidé de suspendre leur passage dans la région. Ils devront donc contourner l’Afrique pour se rendre en Europe et passer par le Cap de Bonne-Espérance, ce qui rallonge significativement le trajet. Par exemple, ce détour augmente la durée d’un voyage entre Singapour et Rotterdam de 40 %. Ceci accroît donc significativement les coûts de transport et les retards du point de vue des exportateurs et déstabilise l’économie mondiale, car environ 12 % du commerce international passe normalement par la mer Rouge.
Comparaison des itinéraires maritimes : Canal de Suez vs Cap de Bonne-Espérance
Cependant, les Occidentaux répliquent et tentent de sécuriser la région. Une coalition internationale, comprenant notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, a ciblé plusieurs villes au Yémen dans le but d’intercepter de nombreux missiles et drones lancés depuis les territoires contrôlés par les Houthis, et visant des navires. Toutefois, il faut faire très attention lors d’un conflit dans cette région, car selon le spécialiste Thomas Juneau, « Si les États-Unis n’en font pas assez, ils ne feront pas mal aux Houthis ; au contraire, ils vont les encourager. Mais s’ils en font trop, il y a un risque d’escalade. L’équilibre sera difficile à trouver ».
Répercussions économiques sur l’Europe
Dans la zone euro, les deux dernières années ont été marquées par une forte inflation, résultant de la reprise post-Covid qui a stimulé la demande, des tensions géopolitiques en Ukraine provoquant une hausse des prix des matières premières, et d’une relance budgétaire gouvernementale importante visant à soutenir le pouvoir d’achat de la population. Dans le but de garantir la stabilité des prix en ralentissant l’économie, la Banque centrale européenne (BCE) a entrepris une politique monétaire restrictive en relevant son taux directeur pour la première fois en juillet 2022, le situant actuellement à 4,5 %, soit son niveau le plus élevé historiquement.
Taux d’Intérêt de la BCE vs Taux d’Inflation en Europe
Ce taux record, pesant sur l’économie européenne, est demeuré constant depuis septembre dernier. L’Europe évite de justesse la récession avec un PIB qui s’est maintenu au quatrième trimestre 2023 par rapport au trimestre précédent, après un léger recul de 0,1 % au troisième trimestre. Ce ralentissement prononcé accompagné d’une baisse considérable de l’inflation amène la BCE a évalué la possibilité d’une baisse du taux directeur au cours de cette année. Cependant, cette décision dépend des données économiques plutôt que d’une date fixe.
Cependant, les tensions croissantes en mer Rouge risquent d’accentuer les préoccupations économiques en Europe et d’influencer les décisions de la banque centrale. En effet, le conflit a un impact direct sur les prix de l’énergie, puisque la mer Rouge représente 12 % du commerce maritime mondial de pétrole et 8 % du gaz naturel liquéfié (GNL). Suite aux sanctions de l’UE contre la Russie, l’Europe dépend largement des importations de pétrole en provenance du Moyen-Orient et de GNL du Qatar, ces approvisionnements transitant par le canal de Suez. Le détour des transporteurs via le Cap de Bonne-Espérance forcé par les hostilités a déjà propulsé le prix du baril de pétrole Brent au-delà de la barre des 80 $.
Les perturbations actuelles dans la chaîne d’approvisionnement ont également un impact sur les tarifs d’expédition des conteneurs pour diverses marchandises en provenance d’Asie. Le détournement des navires a entrainé une augmentation significative de 173 % des prix du fret par conteneurs, cette hausse des coûts se traduit par une augmentation des prix sur les étagères, contribuant ainsi à une augmentation globale de l’inflation en Europe. Il a été annoncé que les perturbations pourraient entrainer une hausse de 0,7 % de l’inflation en Europe, ce qui pourrait retarder davantage le rebondissement après un grave ralentissement économique dans la région. Cette situation pourrait contraindre la Banque centrale européenne à maintenir des taux d’intérêt élevés au-delà des prévisions initiales afin de contenir cette poussée inflationniste, potentiellement décourageante pour la poursuite de l’activité économique.
L'équipe Économie mondiale