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Le paradoxe du projet Northvolt

Elliot Deslauriers, Gabrielle Géli, Yohan Comeau



Le 9 janvier 2024, l’entreprise suédoise Northvolt obtenait l’autorisation du gouvernement du Québec pour commencer d’imposants travaux de préparation des sols s’étendant sur un territoire de plus de 300 hectares des villes de McMasterville et Saint-Basile-Le-Grand, au sud de Montréal. Ces travaux les mèneraient vers la construction d’une usine de composantes de batteries au lithium, industrie florissante dans la course vers la transition écologique. Cependant, l’entreprise dut interrompre ses affaires peu après, alors qu’elle apprenait qu’une demande d’injonction avait été déposée par plusieurs citoyens regroupés sous le Comité Action Citoyenne Projet Northvolt. Celui-ci accuse le gouvernement du Québec de ne pas avoir rempli son devoir en omettant d’impliquer le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) dans l’analyse de la faisabilité du dossier Northvolt et d’avoir pris une décision hâtive quant à l’impact environnemental que cette action entrainerait.


Le BAPE « informe et consulte les citoyens, enquête, puis avise le ministre responsable de l'Environnement sur les dossiers qu'il lui confie, afin d'éclairer la prise de décision gouvernementale. » Le bureau n’a pas été consulté, car l’examen de celui-ci est déclenché lorsqu’un certain seuil de production de cathodes (électrode d’où sort le courant d’une batterie) est dépassé. En effet, le seuil est passé en février 2023 de 50 000 à 60 000 cathodes, permettant ainsi à Northvolt de ne pas être soumis à l’analyse de leur dossier par le BAPE car leur production serait de 56 000. Cette modification du seuil a été conduite par le gouvernement Legault qui fut accusé de dissimulation et d’avoir conduit cette réforme dans le but de répondre aux attentes de la multinationale suédoise. Le gouvernement avait d’ailleurs proposé une autre modification de la loi qui aurait favorisé Northvolt, mais celle-ci a finalement été annulée.


Le projet Northvolt avait été annoncé en grande pompe en septembre 2023, avec la présence du premier ministre du Canada ainsi que de François Legault qui tous deux voyaient un grand attrait pour le Québec dans l’implantation de cette entreprise ici qui permettrait la création de milliers de nouveaux emplois et favoriserait le développement de technologies durables ainsi que la preuve que le Québec est un terrain attirant pour des investissements étrangers. En effet, le Québec a vu de moins en moins d’implantations industrielles au cours des dernières années et attire peu d’investisseurs malgré la présence de nombreuses ressources naturelles : Pierre Fitzgibbon, le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie du Québec a déclaré : « Northvolt est le plus beau projet privé de l'histoire du Québec ». Du côté suédois, l’entreprise s’est engagée à verser une somme de 4,7 millions de dollars de compensation environnementale et doit procéder à la conservation de terrain après la construction de l’usine. Également, d’importantes subventions profiteront à Northvolt : au niveau fédéral et provincial, un total de 2,7 milliards de dollars sera versé pour le projet en plus de 4,6 milliards de dollars en subventions d’exploitations. Cela représente l’équivalent de l’aide gouvernementale dont l’entreprise aurait pu bénéficier en s’implantant aux États-Unis en vertu de l’Inflation Reduction Act.


Au-delà de l’absence de BAPE, le projet industriel relève plusieurs enjeux environnementaux. Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) du gouvernement Legault a indiqué dans un rapport d’analyse du projet que l’installation de l’usine détruirait 950 000 mètres carrés de milieux naturels, dont 138 000 mètres carrés de milieux humides. Ces milieux naturels abritent une grande biodiversité, dont au moins treize sont inscrites sur la liste des espèces en péril du gouvernement fédéral. Les milieux humides sont particulièrement importants pour la biodiversité locale, puisqu’ils font partie des derniers du genre dans la région. Quatre espèces d’oiseaux habitent dans les milieux humides de McMasterville et nulle part ailleurs dans la région, leur survie est donc intimement liée à la conservation de ces milieux. Plusieurs environnementalistes critiquent également la mission du projet industriel : le regroupement Rage Climatique a affirmé lors d’une manifestation que « le projet ne sert qu'à permettre à l'industrie automobile de se perpétuer au-delà des changements climatiques, en remplaçant la pollution liée au gaz à effet de serre par une pollution massive liée aux batteries, à l’extraction des minéraux nécessaire à leur production et à leur raffinage ». Le gouvernement provincial est resté principalement muet face à ces critiques, en évitant le sujet avec la presse et en caviardant les documents internes envoyés aux médias.


Alors que les retombées environnementales de l’investissement sont critiquées, ses retombées économiques sont défendues par le gouvernement. Lors de l’annonce officielle de l’établissement de l’usine au Québec, Justin Trudeau et François Legault ont annoncé avec fierté et émotion que ce projet créera 3000 emplois québécois. Bien qu’il soit vrai que 3000 Québécoises et Québécois pourront travailler dans l’usine à un salaire convenable, l’utilisation du terme « création d’emploi » est également critiquée. Puisque le Québec vit une grande pénurie de main-d’œuvre, il y a déjà plus de demande que d’offre dans le marché du travail. Northvolt amènerait donc plutôt un déménagement d’emploi qu’une réelle création.


Alors que le projet Northvolt continue de progresser sans BAPE, des inquiétudes par rapport à l’acceptabilité sociale sont relevées : ce projet laissera-t-il un précédent ? François Legault et son équipe de ministres comparent le projet Northvolt avec les investissements de Robert Bourassa en hydroélectricité dans les années 1980, promettant un avenir vert et fructueux pour la population québécoise. Le futur seulement nous dira si l’investissement en aura valu le cout politique et environnemental.


L'équipe Politique

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