Le 5 octobre dernier commençait la Coupe du Monde cricket en Inde avec une rencontre très disputée entre l’Angleterre et la Nouvelle-Zélande. Cette compétition a lieu tous les 4 ans et réunit l’élite mondiale du sport. Le Canada a tenté de se qualifier, mais a échoué en raison de 2 défaites décisives. Depuis sa dernière participation en 2011, Justin Trudeau aurait probablement apprécié que son pays accède au 1er tour de la compétition afin d’apaiser les tensions avec le pays hôte. On dit que le sport adoucit les mœurs et est fédérateur entre les nations, mais quand on ne pratique pas le même, c’est compliqué…
Début septembre 2023, une escalade de tensions est apparue entre les deux pays en raison du meurtre de Hardeep Singh Nijjar commis en Colombie-Britannique le 18 juin. Celui-ci était un leadeur de la communauté Sikh qui luttait pour la création de son état indépendant : le Khalistan. C’était un homme recherché par les services de sécurité indiens qui l’avaient qualifié de terroriste. Les frictions se sont intensifiées le 18 septembre, depuis que le Premier Ministre canadien a annoncé disposer de renseignements crédibles sur l’implication de l’Inde dans l’assassinat de Hardeep. Depuis ce jour, les deux pays se répondent politiquement et diplomatiquement; l’apaisement entre les deux pays n’est pas à l’ordre du jour.
Contexte historique
Les relations entre le Canada et l’Inde n’ont pas toujours été aussi tendues; le système fédéral Canadien aurait inspiré celui de l’Inde lors de son indépendance en 1947 qui voyait le Canada comme un modèle de réussite économique et politique. Malgré cela, la présence grandissante de la communauté Sikhe au Canada est l’une des causes majeures des tensions actuelles.
La population Sikhe est un groupe ethnoreligieux qui trouve ses origines au Pendjab, entre le Pakistan et le nord-ouest de l’Inde. Les Sikhs profitent de l’incertitude géopolitique au 18ème siècle pour établir leur propre royaume dans la région du Pendjab qui durera un demi-siècle avant d’être annexé par les Anglais en 1849. Lors de la guerre d’indépendance de l’Inde, beaucoup sont les victimes de violences et de répression.
Dans les années 80, les tensions entre les Sikhs et l’armée indienne grandissent lorsque le gouvernement ordonne l’envahissement du Temple d’Or, lieu central de la foi Sikhe. Deux semaines plus tard, la première ministre sera assassinée par ses deux gardes du corps de religion Sikhe.
Le désir de la création d’un état Sikhe indépendant (le Kalistan) est ravivé lors de l’élection du parti nationaliste bouddhiste BJP en 2014 qui souhaite adopter des politiques discriminatoires envers les Sikhes notamment.
Les diasporas sikhes à travers le monde sont source d’inquiétude pour le gouvernement indien, notamment celle du Canada qui se trouve à être la plus importante au monde. Ainsi, selon New Delhi, l’aide financière du Canada envers la communauté sikhe augmente les risques d’un retour du mouvement séparatiste violent.
Recherché par les autorités indiennes depuis quelques années, Hardeep Siggh Nijjar niait toutes les accusations criminelles de l’Inde, où il était considéré comme ‘‘terroriste’’ depuis 2022. La même année, l’Agence d’Enquête indienne (NIA) offrait 4500 dollars canadiens pour toute information concernant son arrestation. Ayant grandi à Pendjab pendant les années du mouvement séparatiste, il arrivait au Canada en 1997 et devenu le leadeur d’un temple sikh à Surrey, en Colombie-Britannique.
Impacts politique
Au mois de juin dernier, le décès du militant politique a secoué la communauté sikhe canadienne, dans laquelle il était un membre actif. C’est cependant l’affirmation de Justin Trudeau qui a mené à la crise diplomatique actuelle. En effet, celui-ci a affirmé qu’une enquête de la part des agences de sécurité canadiennes était en cours sur des « allégations sérieuses » d’un lien entre l’événement tragique et le gouvernement indien. Bien que le gouvernement de Narendra Modi nie ces allégations, plusieurs éléments auraient laissé croire le contraire aux autorités canadiennes. L’inde avait contacté le Canada auparavant par rapport à Nijjar et le ministre en chef de l’État avait exigé des mesures contre lui au premier ministre en 2018.
Des expulsions réciproques de diplomates ont suivi ainsi qu’une suspension de tout visa de Canadiens souhaitant se rendre en Inde. Au niveau économique, les conséquences sont pour l’instant moins claires. La relation économique entre les deux pays était en croissance. Les échanges commerciaux avaient augmenté de 137% et l’Inde est le 10e partenaire commercial du Canada au niveau mondial. Les tensions actuelles posent cependant un frein dans la négociation d’un accord commercial entre les deux états. Des répercussions pourraient également se faire sentir sur les 600 entreprises et organisations présentes en Inde à l’heure actuel.
Pour la suite
Dans le climat géopolitique très instable des dernières années avec notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les tensions persistantes entre la Chine et Taiwan, chaque complication peut avoir d’énormes répercussions à l’échelle mondiale. Il sera donc intéressant de voir si les relations entre le Canada et l’Inde progresseront vers la stabilité, voire même, l’amélioration ou elles continueront à se diriger vers la dégradation au cours des prochains mois.
Avec la Chine et la Russie, l’Inde est le troisième pays avec lequel le Canada voit ses relations s’altérer dans les dernières années. C’est justement avec réjouissance que la Chine et la Russie voient les relations Canada-Inde battre de l’aile après avoir contemplé avec frustration la rencontre du président Modi avec le président américain Biden à la maison blanche en juin dernier. En effet, selon Michel Juneau, spécialiste en sécurité nationale, « La Russie et la Chine s’en lèchent les babines. » L’Inde, le pays le plus peuplé du monde ayant récemment dépassé la Chine représente une puissance émergente avec un énorme potentiel économique et une influence à l’échelle mondiale croissante. Il s’agit donc d’un potentiel allié économique et politique très intéressant autant pour le Canada et les États-Unis que pour la Chine et la Russie qui veulent profiter des tensions pour renforcir leurs liens avec l’Inde.
Seul le temps dévoilera l’ampleur de cette nouvelle qui est en constante évolution. Une chose est certaine, cette histoire est loin d’avoir finis de faire parler d’elle en raison de l’histoire riche qu’elle renferme ainsi que l’implication de près ou de loin de plusieurs acteurs internationaux ayant des intérêts opposés.
L'équipe Politique